Accueil Champagne L’élaboration du champagne pas à pas : l’éloge de la patience

L’élaboration du champagne pas à pas : l’éloge de la patience

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plaques de muselet
Les plaques de muselet sont très recherchées par les placomusophiles, nom donné aux collectionneurs de ces petites rondelles métalliques et colorées, aux armes de toute maison productrice de champagne.

Le champagne est un vin, l’un et l’autre suivant, grosso modo, le même procédé d’élaboration. Jusqu’à l’étape de l’assemblage,. Il existe 6 méthodes différentes* permettant de façonner un vin effervescent. Le champagne, lui, résulte de la méthode traditionnelle que seule l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) Champagne a le droit d’appeler méthode champenoise. Sinon, gare aux sanctions. Aucun vin pétillant autre que le champagne en effet ne peut porter cette mention sur son étiquette et ce, depuis 1994.

Représentés par le Syndicat Général des Vignerons (SGV), les vignerons détiennent 90 % du vignoble champenois, le reste revient aux négociants, personnifiés par l’Union des Maisons de Champagne (UMC). Réunies au sein du Comité Champagne, ces deux organisations gèrent, ensemble, les intérêts et la défense de l’appellation Champagne, avec sévérité et avec une vigilance de tous les instants.

VENDANGES, PRESSURAGE, 1ERES FERMENTATIONS ALCOOLIQUES

A l’automne vient le temps des vendanges, obligatoirement manuelles en Champagne. Le vigneron trie les grappes en fonction de la maturité et de la santé des raisins (les grains malades sont éliminés). La récolte est acheminée au plus vite vers le pressoir où intervient le pressurage. Les premiers jus extraits, les plus purs, sont appelés cuvée, le reste, taille. Le vigneron ajoute du SO² (dioxyde de soufre) pour protéger les moûts (jus de raisin) de certaines bactéries. Les impuretés les plus lourdes (poussière, terre) tombent au fond de la cuve, le moût devient plus limpide. C’est ce que l’on nomme le débourbage, étape qui précède celle du soutirage lequel consiste à envoyer, à l’aide d’une pompe, le jus clarifié vers une autre cuve. Va suivre, si besoin, la chaptalisation (ajout de sucres dans les moûts trop acides) puis la phase, capitale, de la fermentation alcoolique. Elle est obtenue par l’addition, dans la cuve, de levures qui vont se repaître du sucre contenu naturellement dans le moût afin de produire de l’alcool, du CO² (dioxyde de carbone), transformer le jus en vin. Le procédé génère également de la chaleur et des arômes. La fermentation alcoolique se déroule en cuve inox, parfois en fût de chêne. Gavées jusqu’à plus soif après qu’elles aient consommé tout le sucre du moût, les levures meurent et sédimentent, formant un dépôt au fond de la cuve dont il faut se débarrasser. Ainsi nait le vin de base. Sec, de saveur neutre, d’acidité élevée, riche en acide malique et en acide tartrique. Selon le style de vin qu’il veut obtenir, le vigneron peut décider, après la fermentation alcoolique, de provoquer une fermentation malolactique (mais ce n’est absolument pas systématique). Il ajoute pour cela des bactéries qui vont transformer l’acide malique en acide lactique, afin de rendre le vin plus rond, plus souple, moins acide. Après 3 ou 4 semaines, les bactéries meurent à leur tour.

L’AOC Champagne court sur 4 grandes sous-régions viticoles : la Côte des Blancs où s’épanouit le chardonnay, la Montagne de Reims et la Côte des Bar où domine le pinot noir, la Vallée de la Marne où le meunier joue un rôle prépondérant. Au-delà de ces 3 cépages principaux qui entrent majoritairement dans les assemblages, rappelons que l’appellation compte 5 autres cépages autorisés : le pinot gris (ou fromenteau), le pinot blanc (ou enfumé), le petit meslier, l’arbane et le voltis. Ce dernier, très résistant aux maladies (mildiou, oïdium), a reçu l’autorisation d’être planté fin 2022. L’une des premières et nouvelles variétés à être  en expérimentée en France dans le cadre des Variétés d’Intérêt à Fin d’Adaptation (VIF

ASSEMBLAGE

Les vins de base dits vins clairs en Champagne, non effervescents (on parle alors de vins tranquilles), sont par la suite dégustés cuve par cuve afin d’être assemblés pour façonner les meilleures cuvées possible. Rappelons si besoin que les vins ont, selon les années, des goûts et des potentiels de garde différents. Rappelons encore que jusqu’à l’étape de l’assemblage, chaque cépage a été vinifié séparément. C’est pendant la dégustation des vins clairs que leur avenir commence à se dessiner. Participeront-ils à l’assemblage d’un Brut, d’un Brut Nature, d’un Extra Brut, d’un Millésimé ? En dégustant les vins clairs, le chef de cave décidera si l’année de récolte est suffisamment exceptionnelle pour avoir le mérite de produire un champagne millésimé. C’est encore lors des dégustations des vins clairs (dont l’acidité mordante fait grincer les dents) que le Chef de Cave et autres pros de la Maison vont décider quel pourcentage de vins de réserve (vins des années précédentes avec un beau potentiel d’évolution), va participer aux assemblages. Celui du champagne millésimé en revanche ne contiendra pas de vins de réserve puisqu’il se doit d’être le reflet d’une seule et même année de vendange.

Les vins de réserve sont l’une des grandes forces de la Champagne. Un système de stockage unique en France. Chaque année, une quantité plus ou moins importante de vins clairs est sélectionnée, mise de côté (réservée), pour entrer dans les assemblages des années suivantes. Ils forment un stock dans lequel le Chef de Cave va piocher pour corriger des vins trop acides car issus par exemple d’une année très froide ou encore pour pallier le manque de jus à cause d’une récolte maigrichonne, insuffisante. Cette réserve -ou stock- permet de survivre en cas de vendange quasi nulle à cause notamment d’aléas climatiques (gel, grêle…), nombreux en Champagne. Pour réaliser leur Brut sans année (BSA), champagne d’entrée de gamme mais véritable ambassadeur d’une maison, les producteurs réalisent les assemblages à partir de dizaines de vins issus de cépages et de millésimes différents, afin de respecter, chaque année, le goût maison, le style le plus prisé par leurs clients habitués. Tout un art qui sera développé dans un prochain article.

SECONDE FERMENTATION ALCOOLIQUE EN BOUTEILLE

Lorsque les assemblages sont terminés, validés, les vins sont mis en bouteille, les flacons fermés par une capsule-couronne. C’est le temps de l’étape fondamentale du tirage (la législation exige d’attendre à minima le 1er janvier de l’année qui suit la vendange avant de procéder au tirage). Aux vins assemblés, le producteur ajoute une liqueur de tirage composée d’un mélange de vin tranquille, de sucre et de levures. Ces deux derniers vont provoquer la fameuse seconde fermentation en bouteille, également appelée prise de mousse. Cet épisode qui va durer environ 2 mois, produit de l’alcool (le degré augmente d’environ 1,2 % vol.) et du CO² qui, en se dissolvant dans le vin, donne naissance aux bulles et à la mousse. Au terme de cette seconde fermentation, les levures ont fait le job. Elles meurent, rassasiées, et forment un dépôt dans le flacon. Ce sont les lies. Elles sont conservées dans les bouteilles, entreposées à l’horizontale, lesquelles vieillissent sur lattes (baguettes de bois), dans l’obscurité et la fraîcheur des caves, à température constante. C’est ce que l’on appelle la maturation sur lies. Après quelques mois, en se décomposant, les levures mortes ont libéré des micro-organismes qui vont interagir avec le vin, lui amenant, au fil du temps, gras, complexité, notes grillées, de biscuit, de levure… Ce phénomène est appelé autolyse. Il a été constaté que des très vieux champagnes non dégorgés (voir plus bas), ayant reposé des décennies au contact de leurs lies, avaient conservé une belle fraîcheur et quelque effervescence. Ce qui n’aurait pas été le cas s’ils avaient été dégorgés en leur temps.

Pour avoir droit au nom de champagne, celui-ci doit vieillir au moins 15 mois dont 12 sur lies pour devenir un Brut et 3 ans dont au moins 12 sur lies pour être millésimé. Cela dit, nombre de maisons rallongent volontiers de plusieurs années la durée légale d’élevage (vieillissement) de leurs cuvées.

REMUAGE

Après quelques années de stockage, le remuage va permettre de faire descendre, petit à petit, le dépôt (les lies) dans le col de la bouteille en tournant (remuant) celle-ci d’1/4, d’1/8ème ou d’1/16ème de tour vers la droite puis vers la gauche jusqu’à ce que le flacon passe de la position horizontale à la position verticale, tête en bas. Ceci, afin que le vin soit totalement limpide. Le métier manuel de remueur a laissé la place à celui de cariste (conducteur de chariot élévateur) tandis que le pupitre traditionnel en bois percé de trous, a été remplacé par une machine, le Gyropalette, une cage emprisonnant environ 500 bouteilles, montée sur un bras hydraulique. Tournée, inclinée, elle imite les gestes du remueur mais en un temps record : 8 jours en moyenne au lieu de 8 semaines ou presque auparavant, quand l’opération était réalisée manuellement. Certaines grandes maisons se targuent de continuer à remuer à la main leurs plus prestigieux flacons.

DEGORGEMENT

Les bouteilles sont tête en bas, cela signifie qu’elles vont bientôt être mises en marché. Le dépôt de levures mortes dont il faut se débarrasser s’est concentré dans le col de la bouteille, dans le bidule, petit cylindre en plastique placé sous la capsule-couronne. Les bouteilles sont déposées dans un liquide à environ – 27°C. Un glaçon se forme dans le goulot, emprisonnant le dépôt, congelé. En décapsulant la bouteille remise debout, les 6 bars de pression expulsent le dépôt et le bidule. Un peu de champagne s’échappe par la même occasion. Pour compenser le liquide qui s’est enfui, on ajoute la liqueur d’expédition ou liqueur de dosage (environ 1 cl/par bouteille). Chaque maison garde jalousement sa recette secrète. On sait cependant qu’elle est composée d’un mélange de sucre et de vin. Ce dernier sera jeune et frais ou marqué par des notes de pain grillé venant de l’élevage en fût, par des saveurs de fruits secs issus d’un vieillissement en bouteille, c’est selon. Le dosage détermine le type de vin souhaité (Brut, Extra Brut, Sec, Demi-Sec), rectifie l’acidité si besoin, gomme quelque potentiel défaut par l’ajout de sucre. Celui-ci permettant une plus longue conservation des vins, autant dire que le dosage influe avantageusement sur le temps de garde du champagne qui vieillit plus longtemps, le sucre s’estompant au fil des années.

Nombre de producteurs inscrivent la date du dégorgement de leurs cuvées sur la contre-étiquette. Plus elle est proche de l’instant de consommation, plus le champagne semblera jeune et frais. S’il a été dégorgé l’année d’avant, ce ne sera plus tout à fait le même vin, devenu plus mature. Cette inscription sur les étiquettes fait cependant polémique en Champagne, plusieurs maisons niant son importance.

BOUCHAGE

Une fois dosée, la bouteille est fermée par son bouchon puis muselée. En liège aggloméré, le bouchon en forme de champignon qui doit supporter une pression de 5 à 6 bar, mesure environ 31 mm de diamètre pour un goulot de 18 mm environ. Petite astuce afin de savoir si un champagne est jeune ou vieux. Lorsque la partie inférieure est devenue mince et cylindrique, cela veut dire que le champagne a un long passé derrière lui. Contrairement à un bouchon dont le pied reste large et évasé.

Le petit grillage ou muselet qui s’applique sur la plaque de muselet (petite rondelle métallique aux armes de la marque) surplombe le bouchon et enserre le tout jusqu’au goulot. Bon à savoir : les collectionneurs de plaques de muselet sont appelés les placomusophiles.

Avant la mise en marché, les bouteilles sont stockées quelques mois, le temps que la liqueur de dosage s’intègre et fusionne avec le champagne.

*Les 6 méthodes produisant un vin effervescent* : méthode traditionnelle, méthode ancestrale, méthode par transfert, méthode cuve close, méthode asti et, pour finir, gazéification.

La Champagne compte une seule appellation, l’AOC Champagne, composée de 17 villages classés « grand cru » et 44 « premier cru ». Des mentions qui, si elles s’affichent sur les étiquettes, ne signifient pas pour autant, contrairement à l’Alsace et à la Bourgogne, qu’elles produisent le nec plus ultra du vin. Ces termes en effet concernent tout un village et non pas un vignoble de qualité supérieure ou mieux exposé qu’un autre. Cela signifie qu’un site exceptionnel peut tout à fait se trouver dans un village non classé. Et cela ne veut dire pas qu’un vignoble situé dans un village classé « grand cru » ou « premier cru » produira forcément la fine fleur des champagnes.

A suivre prochainement… qu’ils soient blancs ou rosés, comment sont fabriqués les champagnes Brut et Brut sans année (BSA) ?