Malgré la cruauté des guerres et des conflits, vignerons et caves résistent courageusement en leur pays, dans la vigne comme au chai, continuant à produire du vin. Leur résilience n’est pas sans rappeler les exemples bibliques au travers desquels, depuis Noé, le vin symbolise la vie et la bénédiction de Dieu, la ténacité de l’homme face à un monde en perdition. Car malheureusement le passé ne sert pas de leçon. Les guerres qui déchirent les peuples continuent de sévir. Alors c’est avec un pincement au cœur que j’ai dégusté les vins ci-dessous. En pensant à ces femmes et à ces hommes d’hier et d’aujourd’hui, meurtris par les violences armées.
Château Chizay, Pinot Noir 2019, Vin d’Ukraine
Rappelons que le vin ukrainien était autrefois fort renommé mais que la campagne anti-alcool soviétique qui a sévi dans la seconde moitié du XXème siècle, a entraîné la destruction de vignobles de qualité, favorisant la culture de cépages moins nobles aux rendements plus élevés. Mais ça, c’était avant la création de Château Chizay qui a décidé de renouer avec les beaux vins d’autrefois. Ce domaine, l’un des plus vastes en Ukraine, se trouve à l’ouest du pays, en Transcarpatie, région vinicole historique (XIIIème siècle), frontalière de la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne.
Fondé en 1995, cerné par d’autres vignobles, Château Chizay élabore ses vins dans le respect des traditions locales tout en s’inspirant des techniques modernes européennes (Hongrie, Italie, Autriche). Proche de la ville de Berehove, il fait figure, avec ses 272 hectares, de locomotive dans la région.
Elevé en fût de chêne français, le Pinot Noir 2019 couleur rubis intense, à reflets légèrement tuilés, libère des parfums de fruits mûrs, confiturés, agrémentés par une pointe de vanille. En bouche, les notes persistantes de prune, de cassis, mêlées à celles, prononcées de cerise, tracent leur chemin jusqu’en finale, douillettement enveloppés dans les tanins fondus.
14 % – Note : 14/20 – 10,50 € sur macave.carrefour.fr
Golan Heights Winery, Mount Hermon Red 2022, Galilee (Israël)
Une quarantaine de jarres de 2 000 litres chacune a été découverte au nord d’Israël, sur le site archéologique du palais de Tel Kabri. Cette cave témoigne ainsi de la présence du vin dans le pays vers 1 700 av. J.C. D’après les analyses scientifiques, le breuvage aurait contenu huiles, résines, cannelle, miel, menthe et baies de genièvre. C’est également en Galilée que se trouve cette immense propriété, Golan Heights Winery.
Réputée pour être la meilleure des appellations du pays, la Galilée est également la plus septentrionale et l’une des régions les plus froides. Le domaine long de 65 kilomètres et large de 20 kilomètres s’étire, comme son nom l’indique, sur les hauteurs du Golan, dans le froid et en altitude, divisé en 28 vignobles plongeant ses racines dans un sol volcanique.
Cabernet sauvignon, merlot, Malbec, cabernet franc et petit verdot s’assemblent avec bonheur pour composer ce Mount Hermon Red 2022 couleur grenat au nez légèrement fumé et puissant à l’ouverture. Il s’adoucit progressivement, proposant des arômes de mûre et de violette, devient plus « sucré », annonciateur de la sensation moelleuse et caressante qui s’épanouit au palais, tapissé par les baies noires et mûres. Volume et générosité caractérisent la bouche riche au fruit juteux et aux tanins fondus. Une pointe d’acidité s’invite en finale longue, fondante, rendant la fin de bouche svelte et tonique.
14 % – Note : 15/20 – 13 € sur twil.fr
Bargylus rouge 2015, Grand Vin de Syrie
« Aujourd’hui connu sous le nom de Jebel-al-Ansariyé, le Mont Bargylus part de la Vallée de l’Oronte, près de l’antique cité d’Antioche et rejoint la vallée de l’Eleuthère, au sud de l’ancienne Emèse. Situés dans l’arrière-pays de l’actuelle ville de l’Attaquié en Syrie et de la métropole cananéenne d’Ougari, les coteaux du Mont-Bargylus étaient richement recouverts de vignes à l’époque gréco-romaine »… énonce la contre-étiquette du vin. Le vignoble d’autrefois a commencé à renaître à cet endroit en 2003, grâce à la famille Johnny R. Saade, d’origine syrienne. Elle a planté une douzaine d’hectares lesquels ont fourni leur premier millésime avec la récolte 2006.
Soit dit en passant, Bargylus produit également un très joli blanc. Mais pour en revenir au rouge 2015, sa robe opaque, grenat, déploie de beaux reflets violines, signe de jeunesse malgré ses presque dix ans. Issu de syrah, cabernet sauvignon et merlot, tout d’abord puissant et corsé en attaque, le vin s’affine en milieu de bouche puis la force se manifeste à nouveau, s’alliant à la vivacité en finale épicée, pimentée, salivante. Si on le laisse respirer en carafe quelques heures avant de le déguster, il se révèle plein, ample, généreux, s’exprime par un beau jus fruité, suave, sur quelques légères notes de café torréfié. Distingué, ce vin complexe, direct, droit, sans fards, séduit également de par ses beaux tanins parfaitement intégrés.
14,5 % – Note : 17/20 – 37 €.
Puisque l’on est sur le thème des pays qui ont souffert et continuent de souffrir de la guerre, précisons que la famille Saade a également créé un vignoble au Liban, le Château Marsyas. Les premiers ceps qui ont été plantés en 2005 (premier millésime en 2007) sur 65 hectares, produisent des vins de notoriété internationale, tout aussi exceptionnels que ceux façonnés en Syrie. La famille Saade a longtemps travaillé avec les fameux conseillers de Derenoncourt Consultants qui oeuvrent, comme chacun sait, en faveur de vins identitaires, magnifiques, tirant le meilleur parti du terroir dont ils sont issus.
Zorah Wines, Karasi, Areni Noir 2020, Arménie
La cuvée résulte d’areni noir exclusivement. Autrement nommé sev areni, il est l’un des cépages autochtones les plus anciens du monde. Très répandu en Arménie où il est cultivé depuis des millénaires, on le trouve essentiellement dans la région frontalière de la Turquie et de l’Iran, à Vayots Dzor. Dans cette province aux conditions climatiques extrêmes, à Areni, village qui a donné son nom au dit cépage, des fouilles archéologiques ont exhumé d’une grotte, les vestiges de pépins, de rafles qui séjournaient dans une cave de vinification remontant à 4 100 ans av. J.C. ! Les observations scientifiques qui s’ensuivirent, établirent que l’areni contemporain remonte à la variété d’alors, à ces pépins d’antan. 100 % indigène, particulièrement résistant aux maladies, il n’a jamais été greffé et croit à partir de ses racines propres. En clair, le vignoble n’a pas été détruit comme partout dans le monde par le phylloxéra.
Autant de raisons qui ont convaincu Zorik et Yeraz Gharibian de s’installer dans le petit village isolé de Rind, au cœur de Vayots Dzor.
Il y a une vingtaine d’années, lorsque Zorik découvre que son pays d’origine, l’Arménie, possède une culture viticole vieille de plus de 6 000 ans quasiment effacée par une longue domination soviétique, il met tout en œuvre (formations, études, recherches, expériences) afin de (re)créer un vignoble sur sa terre natale. Lui et son épouse Yeraz ont entrepris un long voyage modelé par la détermination pour renouer avec le vin du passé, issu de traditions ancestrales. Ils ont depuis fait des émules, Zorik entraînant dans son sillage et sa passion d’autres vignerons à qui il inculque sa vision de la vigne pour la production de vins exceptionnels, notamment à partir de cépages indigènes plutôt que de cépages internationaux comme c’était devenu l’usage. L’arménien de la diaspora qui a grandi en Italie, a choisi pour l’épauler, Alberto Antonini, l’un des plus grands consultants en vinification au monde. Le toscan s’enthousiasma, dès 2003, pour le potentiel du terroir arménien, de ses cépages endémiques et des méthodes anciennes d’élevage en amphores, karas en arménien (kveri en géorgien). Karasi signifie d’ailleurs littéralement « provenant d’une amphore ». Comme le vin qui nous occupe.
Karasi Areni Noir 2020 a en effet passé 12 mois en amphore et 6 autres en bouteille. Rappelons que les jarres en argile traditionnellement utilisées en Arménie depuis 6 100 ans, tant pour la vinification que pour l’élevage, sont enterrées aux trois-quarts dans le sol.
Robe pourpre, sombre, parfums fumés, de cassis, de poivre noir et de cerise pour ce 2020 élégant, doté d’une bouche veloutée, pulpeuse, aux tanins soyeux qui soulignent la puissance subtile en bouche juteuse et salivante, marquée par une grande fraîcheur.
14 % – Note : 16,5/20 – 34,90 € sur vinatis.com
Château Ksara, Réserve du Couvent 2020, Liban
40 % syrah, 30 % cabernet franc et 30 % cabernet sauvignon se marient dans ce vin couleur rubis sombre produit dans la vallée de la Bekaa. Les arômes légèrement boisés, vanillés au nez, précèdent la bouche souple, ronde et épicée. Si la cuvée séduit d’emblée dès aujourd’hui, ses tanins racés et sa belle acidité suggèrent un bon potentiel de garde. Notes de café grillé en finale, longue et fruitée.
13,5 % – Note : 14/20 – 18 € en épicerie fine libanaise.
A suivre (peut-être…) avec les vins du Kosovo, de la Moldavie etc.