Sur l’île de Santorin, près de Pyrgos, la Kouloura est une méthode de taille de la vigne unique au monde à partir de laquelle Haridimos Hatzidakis a créé des vins hors norme dont un 100 % assyrtiko nommé Skitali. Le vin raconte l’histoire d’un domaine créé par un homme visionnaire trop tôt disparu. Il symbolise une famille, le passé et l’avenir, une transmission, un cépage endémique issu de vignes non greffées à l’origine d’un très grand vin blanc sec, pur, profond, d’une complexité aromatique éblouissante.
Rares et remarquables, les vins blancs Assyrtiko-Santorini (AOP Santorini), sont le reflet d’un terroir incomparable combinant un climat insulaire compliqué au cœur de la mer Egée, un savoir-faire vigneron ancestral, un sol volcanique pauvre et aride, constitué de pierre ponce et de lave. Ce sol si particulier a cependant l’avantage d’être exempt d’argile ce qui lui a permis de tenir loin de son île le nuisible phylloxera, laissant libre cours à des ceps francs de pied dont certains sont plusieurs fois centenaires.
Au sud de la Grèce Santorin, la plus méridionale des Cyclades, est battue par des vents impétueux au printemps, soumise à une longue période de sécheresse et de chaleurs excessives en été, très faiblement arrosée par la pluie en automne et en hiver. Et pourtant… quelques vignerons produisent un blanc sec extraordinaire, complexe, d’une fraîcheur vive et d’une minéralité (pierre à fusil) époustouflantes. Pour ce faire, depuis la nuit des temps se transmet le secret d’une méthode de taille de la vigne unique au monde, la Kouloura. Les sarments sont entrelacés à la main, tressés à quelques centimètres de la terre pour former ce qui ressemble à une couronne, un nid d’oiseau, à une corbeille qui garantit ombre et humidité aux baies, à l’abri des vents puissants venus de la mer, des rayons brûlants du soleil au zénith, du sable fouetté par les bourrasques qui endommage les bourgeons. Véritable prouesse technique, telle une œuvre d’art, la vigne auréole le sol de ses halos épars dessinant un paysage d’un autre monde.
Haridimos Hatzidakis fut le premier vigneron de Santorin à affirmer envers et contre tous que l’assyrtiko, cépage endémique de l’île, pouvait vieillir. Depuis, il fait figure de génie pour certains, de modèle pour les autres, de précurseur quoi qu’il en soit, à l’origine du renouveau des vins grecs identitaires. Au nombre de ses talents avant-gardistes, la remise au goût du jour et la vinification de cépages autochtones. Il fut le premier sur l’île à utiliser les levures indigènes, prônant les vins sans filtration. Sa dernière expérience fut l’élevage sur lies fines en cuve inox. Haridimos a malheureusement choisi de disparaître en 2017. Son épouse Konstantina et ses trois enfants (Stella, Antonis et Ariadne) ont malgré tout décidé de reprendre en mains le domaine afin de perpétuer sa mémoire, sa volonté d’élaborer des vins extraordinaires.
La première cuvée à voir le jour après le décès d’Haridimos est issue du millésime 2020 et d’assyrtiko à 100 %. Baptisé Familia, il incarne la transmission. Stella, l’ainée, est oenologue. Au-delà des vins qu’elle élabore, elle a notamment dessiné l’étiquette de Skitali qui, en français, signifie le relais. Tout un symbole entre le passé et l’avenir, le motif représentant la main du père qui passe le relais à un membre de sa famille en lui tendant d’en haut un bâton à saisir ici-bas.
Konstantina Chryssou a rencontré Haridimos Hatzidakis chez Boutaris (une importante entreprise vinicole grecque). A l’époque, elle s’occupe de la partie oenotouristique, il est oenologue. En 1996, elle emmène son amoureux sur son île, à Santorin, visiter le vignoble de ses grands-parents. Abandonné depuis le tremblement de terre de 1956 à la suite duquel les parents de Konstantina s’étaient installés à Athènes, ce vignoble invite Haridimos à tout remettre à plat. D’emblée, il se focalise sur l’aidani, l’un des cépages indigènes de Santorin dont il apprécie tout particulièrement les arômes et qu’il aurait été le premier à planter sur l’île. Il fut également, dès 1997, le premier à croire en l’avenir d’un autre cépage autochtone, rouge cette fois, le mavrotragano.
L’an dernier, j’ai eu la chance de rencontrer Konstantina et ses enfantsà Paris, lors d’un merveilleux dîner chez Mavrommatis à Paris. L’occasion de déguster leurs vins magnifiques dont Skitali, le vin préféré de Konstantina.
Intensément savoureux, pulpeux, le 2022 déploie une robe vieil or brillant de mille feux. Sec, rond et voluptueux, il exhale des arômes de fleurs blanches, d’ananas, de légers arômes fumés. Le vin aux saveurs de cire d’abeille, d’agrumes mûrs, cumule profondeur et élégance. Le vieillissement de 12 mois sur lies fines amène la densité de la texture, onctueuse, la belle complexité qui n’occulte cependant ni la fraîcheur étonnante ni l’énergie du vin jusqu’en finale longue, ciselée, sapide, salivante, dont la salinité évoque les embruns portés par les vents. Un vrai petit bijou qui donne envie d’aller admirer le domaine, le vignoble d’une dizaine d’hectares, le panorama spectaculaire, le chai creusé dans la roche noire…
S’il accompagne poissons grillés, viandes blanches rôties, cuisine grecque sophistiquée, fromages de chèvre, il s’est également révélé le grand complice d’un camembert crémeux et coulant.
Skitali 2022 – Alc. 14 % – 18/20 – 57 € sur santorini.net – Info+ : hatzidakiswines.gr
